Les infirmières s'agitaient dans les couloirs. Le téléphone sonnait constamment, les médecins regardaient les radios que leurs internes leur tendaient, avant d'adresser un petit clin d'oeil entendu à la secrétaire blondinette. Assise en chemise d'hôpital sur un lit, les pieds dans l'air, Raffaéla regardait ce beau monde avec un regard vide. Elle ne s'amusait pas de leur situation, ni du fait que l'infirmière qui l'avait prise en charge était partie chercher un pansement pour sa tête depuis une bonne demi-heure. « Je pense qu’elle boit un café. » Sa phrase ne s’adressait à personne en particulier, elle l’avait balancé dans le vide, mais Luizia leva les yeux de son portable pour la regarder. Raffaéla, elle, ne la regardait pas. Elle n’aimait pas les jeux de regards, les « je lis en toi comme dans un livre ouvert ». Non, elle n’aimait pas ça. Sa soeur n’arrêta pourtant pas, et ne regarda à nouveau son portable qu’après cinq bonnes minutes. Ella jouait avec ses pieds, les balançants d’avant en arrière, chantonnant presque. On lui avait toujours dit de chanter, quand ça n’allait pas. Et ça n’allait pas. Elle n’allait pas bien. Pourtant elle souriait. Elle baissa les yeux et son regard se posa sur ses jambes. Elles étaient sales, avec des traces d’herbe verte, et de la boue. Beaucoup de terre. Une plaie saignait encore un petit peu, et deux autres venaient d’être soignées. L’infirmière prenait un café. Elle remonta vers ses mains, posées sur ses cuisses recouvertes. Elles aussi étaient sales, mais moins ; pendant l’hiver, elle portait des gants. Ses avant-bras n’étaient pas couverts, et elle put admirer les griffures qu’il lui avait laissé, ainsi que les bleus qui commençaient à apparaitre de plus en plus clairement. Elle sourit encore, alors que son doigt traçait la courbe de ses récents points de sutures derrière son cou. Elle était amochée. Mais elle n’avait pas mal ; à part au coeur. « Perdere Volturi ? » Ella leva les yeux en même temps que sa soeur sur un homme brun, portant une blouse blanche immaculée, comme si il n’avait jamais pu prendre en main le scalpel et ouvrir un patient sur le point de mourir. Elle sourit légèrement, presque pour se moquer.
Il commença à la regarder, à regarder ses bleus, ses plaies, à passer une lumière devant ses yeux, ce qui fit tressaillir légèrement l’italienne. Lorsqu’il posa une main sur le haut de son épaule, elle recula. « NON ! » Non. Elle l’avait dit une dizaine de fois ce soir-là. Elle avait dit non à sa mère, qui voulait qu’elle reste manger avec elle. Elle avait dit non au chauffeur lorsqu’il lui avait demandé de payer le prix fort parce qu’ils venaient de passer aux heures nocturnes. Elle avait dit au proviseur lorsque, à l’entrée du terrain de football, il lui avait demandé si elle voulait bien organiser la fête de fin d’année. Elle avait dit non à Teresa lorsque celle-ci lui avait demandé si Pablo sortait avec cette pétasse de De La Rovia. Elle avait dit non lorsque l’équipe adverse avait fait un home-run. Elle avait dit non à Suzie lorsqu’elle lui avait demandé si elle voulait qu’elle la raccompagne. Et elle avait dit non une bonne dizaine de fois à Leandro, le capitaine de l’équipe, quand il avait commencé à glisser sa main sous sa jupe d’écolière en dessous des estrades.
Elle rouvrit les yeux. Le médecin la regardait avec compassion, alors que Luizia s’était approchée pour la calmer. « Je lui ai dit non, je lui ai dit.. » Elle prit la main que sa soeur lui tendait, la serra, avant de la relâcher, détournant son regard d’elle. Tout en murmurant des phrases incompréhensibles, elle s’allongea dans le lit, couvrant les bleus avec la couverture, alors que Luiziana et son médecin sortait de la chambre pour discuter de son état. Raffaéla sentit une larme rouler le long de sa joue. « Je lui ai dit non. »

 « À demain Ella ! » Se retournant pour adresser un sourire à son amie Francesca, elle ouvrit son casier pour un fourrer sa blouse. Tout en l’enlevant, elle remarqua une tache de sang sur le côté droit. Lasse, elle la jeta dans la poubelle à sa gauche avant d’aller en chercher une autre dans l’armoire des internes. Elle sortait d’une opération qui avait durée sept heures. Ses doigts étaient encore crispés, comme si le scalpel ne les avait quittés, et la fatigue qu’elle ressentait maintenant était dû au cinq cafés qu’elle avait pris pour rester parfaitement éveillée. Elle avait sauvé une vie aujourd’hui, aux côté du docteur Vassilini. Une adolescente survivrait. Une autre. Elle passa dix minutes sous la douche, essayant d’enlever le sang coincé entre ses ongles, et ressortit des vestiaires avec une robe de cocktail noire brodée de dentelle. Il était vingt-et-une heure trente deux lorsque Raffaéla fit claquer la portière de sa voiture de luxe. Elle donna les clés au voiturier à peine sortit du lycée et tendit son carton d’invitation au chef de la sécurité. Elle détestait les dîners caritatives organisés par sa mère. Cela lui semblait tellement hypocrite de s’y rendre en robe chanel qui représentait une année de loyer pour la plupart des personnes qu’elle avait croisé sur le chemin. Elle n’était pas contre sa fortune, elle avait été éduquée par celle-ci, son père lui ayant mis un biberon fait d’or le jour de sa naissance, mais elle avait le sens des réalités. Et cette soirée était l’hypocrisie incarnée.
Se dirigeant vers le milieu de la grande salle, elle salua quelques connaissances poliment, avant de rejoindre sa mère, qui discutait avec un politicien. « Ah ma chérie te voilà enfin. » Répondant par un large sourire à sa maternelle, elle déposa un baiser sur sa joue, avant de saluer l’homme qui lui faisait la conversation. « Et voilà ma troisième merveille ! » Elle sentit la main de son père se poser sur son épaule. Elle tressaillit. Troisième. Comme si il n’avait pas que deux enfants. Evidemment que non. Il y avait Andrea... Celui-ci se joignit presque au même moment au quatuor, et Raffaéla le dévisagea, comme à son habitude. Mais ce n’était pas exactement comme les soirées précédentes. Ne tenant pas plus que ça à continuer dans la joute des regards, l’italienne attrapa une coupe de champagne au vol, la buvant d’un trait.
La soirée se terminait après un long speech sur l’importance de la charité, orchestré par le riche héritier de la grosse entreprise Apple de Rome. Raffaéla se tenait en arrière, détaillant les faits et gestes de ce roublard, terminant par la même occasion sa cinquième flûte. « Une dernière goutte peut-être ? » Ne prenant pas la peine de tourner la tête, la brune tendit son verre à Andrea, avant qu’il ne lui en tende un nouveau. « Il est pas mal, ce Von Bleetsby. » « T’as pas quelqu’un d’autre à aller ennuyer ? » Raffaéla et ses sarcasmes, un grand classique, surtout pour le jeune homme. Elle ne le regardait pas, pourtant sa colère était palpable à des kilomètres. Elle serrait les dents pour ne pas lui balancer son breuvage à la figure. Lui et son air supérieur qui avait le don de l’exaspérer. Elle tapait du pieds, priant pour que cet idiot s’en aille. Alors qu’elle le croyait enfin dégager de son territoire, il l’entraina derrière un grand pilier, à l’écart de la fête. L’autre continuait son discours, mais Raffaéla ne l’entendait que d’une oreille. Non, elle n’avait que faire de ce Von quelque chose. A cet instant, elle essayait simplement de ne pas baisser le regard. Il la regardait avec un air narquois, ce qu’elle détestait au plus haut poing. Il tenait fermement ses poignets, pour ne pas qu’elle se dégage. Il s’approcha d’elle, aussi près que l’autre fois, mais au lieu de l’embrasser, il se contenta s’approcher de son oreille. « Pas la peine de stresser autant, on est entre frère et soeur non ? » Se dégageant enfin, elle le repoussa avec cet air de dégoût qu’il lui inspirait à chaque fois qu’il apparaissait dans son champ de vision. « Va te faire foutre. » Elle s’éloigna, sentant son regard perçant perçant et satisfait dans son dos.